Lettre de l'Icom France n°35
Editorial
Ce début d’année 2012 a été marqué par un geste solennel : la restitution le 23 janvier à la Nouvelle Zélande, à destination du peuple maori, de vingt Toi Moko, ces têtes tatouées rapportées depuis la fin du XVIIIe siècle en Europe par les navigateurs et les explorateurs du Pacifique. Dix-neuf avaient été identifiées dans les collections de musées français, une vingtième dans le conservatoire d’anatomie d’une Université. Pour en arriver là, il avait fallu plus de quatre ans de débat et le vote d’une loi (Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 « visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections »).
Faut-il rappeler qu’à l’origine de cette démarche il y eut l’engagement du directeur du Muséum d’Histoire naturelle de Rouen, Sébastien Minchin, qui, peu après sa nomination en 2006, découvrant cette pièce de collection, cet objet de science, ce reste de corps humain, s’était posé des questions à la fois scientifiques et éthiques : Peut-on l’exposer ? Où et comment le conserver ? Que doit-on répondre aux demandes formulées depuis 1992 par les Néo-Zélandais soucieux de rapatrier les restes humains dispersés dans les musées d’Europe, d’Amérique et d’Océanie afin de leur donner une sépulture conforme à la tradition culturelle maorie ? Pour les élus municipaux de Rouen, cette restitution s’imposait. Ils furent suivis dans cette voie par les parlementaires, à l’initiative de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, ancienne adjointe de la culture au maire de Rouen. Et la restitution le 9 mai 2011 de la tête conservée depuis 1875 dans les collections rouennaises permit enfin à la France de rejoindre les pays (Suisse, Grande-Bretagne, Danemark, Pays-Bas, Allemagne, Argentine, Australie,…) qui avaient pris le parti du respect de la demande néo-zélandaise et par-delà, de la culture maorie.
Il y a dix ans, en 2002, c’est déjà une loi spéciale qui avait autorisée la restitution à l’Afrique du Sud de la dépouille de Saartje Baartman, la « Vénus hottentote » passé, à sa mort en 1815, du statut d’objet d’exhibition et de prostitution à celui d’objet de science et de musée. A dix ans d’intervalle, le débat portant sur le principe d’inaliénabilité des collections publiques a occulté le questionnement éthique sur le statut même de certains restes humains conservés dans nos musées.
Nous héritons parfois de collections lourdes de sens, qu’il nous faut considérer à la lumière des débats de société contemporains. D’autres restes humains posant de graves questions se cachent encore dans les réserves de certains de nos établissements, sans évoquer les questions de pièces paléontologiques, ethnographiques ou archéologiques importées parfois frauduleusement.
Au croisement du droit et de la morale, des réglementations officielles et de l’autorégulation professionnel, une réflexion sur notre déontologie professionnelle s’impose à nous. C’est pourquoi, un quart de siècle après la publication du premier code de déontologie par l’ICOM en 1986, le comité national français a souhaité faire des questions de déontologie le cœur de sa réflexion collective. Nous avons travaillé depuis un an à l’élaboration d’une journée d’étude, organisée le 21 mars prochain avec le Service des musées de France de la Direction générale des patrimoines du Ministère de la Culture. Ce premier temps de notre réflexion, destinée à mettre en perspective historiques les codes de déontologie qui se sont multipliés ces dernières années dans le champ des professions des musées et du patrimoine, fera une large place au retour d’expériences. Nous espérons prolonger ce débat dans les mois à venir, et déjà à l’occasion de notre prochaine assemblée générale annuelle qui se tiendra le 11 mai à Bruxelles. Nous attendons votre participation !
Denis-Michel Boëll,
Président du Comité français de l’ICOM
Membre du Comité pour la déontologie (ETHICOM)