Militer au musée : actions politiques dans la sphère patrimoniale
Présentation
Ces dernières années, on a assisté à un déplacement et une transformation des formes de militantisme politique dans le domaine décolonial et écologique : de la manifestation sous la forme de marches collectives, ou bien de la dénonciation d’un immobilisme politique sous la forme de tribunes publiques dans les journaux, on est passé à des interventions dans les musées ou encore à des entames du patrimoine public ayant pour objectif de réveiller les consciences, quant à une histoire conflictuelle transmise sans égard à ses méfaits (pour ce qui concerne l’histoire coloniale et plus encore l’histoire de la traite transatlantique et de l’esclavage) ou pour ce qui concerne la frilosité et l’inaction, voire le cynisme des pouvoirs publics face à l’urgence climatique. Ces deux prises de conscience politiques se déploient parallèlement et recourent à un ensemble de gestes engagés, qui, pour n’être pas exactement similaires, sont certainement comparables dans leurs formes. Ils disent également à quel point l’espace patrimonial est un espace public reconfiguré comme une arène où, alors qu’on le croyait sanctuarisé - même si l’histoire montre que le patrimoine a souvent été pris pour cible dans les revendications politiques, notamment par les Révolutionnaires français vis-à-vis des signes d’Ancien Régime à la fin du XVIIIe siècle ou encore par les Suffragettes anglaises au début du XXe siècle - il s’avère un espace public où les conflits de valeur se déploient, s’affrontent, dans le recours à l’effraction et à l’illégalité.
L’espace patrimonial est ainsi requalifié comme un espace dynamique propre à servir de débats et de confrontations, non pas de représentants élus comme à l’assemblée, non pas de foules pacifiques réunies autour d’un mot d’ordre dans l’espace urbain, mais bien par la captation de groupes qui se vivent comme minoritaires et inaudibles dans les formats traditionnels du débat public, et qui entendent faire connaître leurs revendications par des processus qui ne relèvent pas de la destruction radicale, mais bien de la maculation sophistiquée, de la blessure contrôlée, ou encore de l’entaille maîtrisée des chefs d’œuvre, vécus comme des sommets de la naturalisation de l’histoire officielle (et considérée comme offensante et problématique) ou comme sommet de la naturalisation d’un modèle social, économique et politique jugé mortifère à l’égard de l’écosystème de la planète.
Plusieurs exemples viennent à l’esprit, que l’on pense aux interventions du groupe Unité, dignité, courage au musée du Quai Branly le 12 juin 2020, aux actions sur des œuvres exposées dans des musées, à l’instar, par exemple de celles conduites par le collectif Just Stop Oil au Royaume-Uni ; ou encore aux actions de Dernière Rénovation, notamment la couverture de la pyramide du Louvre de peinture orange fluo le 27 octobre 2023, dans le domaine écologique. Ces interventions sont rendues publiques par la presse traditionnelle mais aussi orchestrées par les lançeurs d’alerte qui diffusent les vidéos témoignant de l'action politique au sein des réseaux sociaux, vidéos qui informent tout le processus, de l'intervention illégale aux procès qu'ils suscitent. Ce militantisme se caractérise par ses modalités d'exécution au sein de l'espace patrimonial, par une médiatisation via les réseaux sociaux mais aussi par une grammaire et une inscription dans un espace internationalisé, sur le fond et dans la forme.
Cette journée d’études rassemblera des chercheurs, des artistes et des militants engagés dans l’action et dans l’étude de ces mobilisations d’un nouveau genre et tentera de comprendre non seulement à quel point les pratiques des décoloniaux et des écologistes se croisent et s’imitent, mais aussi, comment elles signent une nouvelle ère du patrimoine comme espace privilégié de l’action politique.
INHA, salle Vasari, 2 rue Vivienne, 75002 Paris