Après le Covid-19 : les musées acteurs de la reconstruction
90 à 95 % des musées, de par le monde, ont brutalement fermé en quelques semaines…
Sidérés, des directeurs de musées de tous les horizons, leurs autorités, les associations représentant leurs personnels et leurs métiers, les organisations non gouvernementales de la culture… ont exprimé leur désarroi, compté les visiteurs manquants, les recettes perdues, les expositions annulées, en s’efforçant d’évaluer puis de contenir l’impact de cette crise inédite et dévastatrice.
Dans le même temps, tous ont trouvé l’énergie – presque immédiatement – d’offrir sur Internet et les réseaux, des animations, des conférences, des visites virtuelles… dont les publics ont apprécié et goûté au-delà même de ce que l’on aurait pu espérer, le dynamisme, la nouveauté et l’inventivité.
Les personnels des musées, nombreux et réactifs à se mettre en travail à distance, ont ainsi poursuivi leurs missions. Les portes des musées ont fermé aux publics mais les fenêtres des réserves se sont ouvertes.
C’est un des enseignements de cette crise, la richesse humaine et les ressources de créativité dont les musées disposaient pour valoriser leurs collections et leurs savoirs. Il ne s’agit pas de tomber dans un excès d’optimisme : certains déjà observent que le numérique a pris une place qui pourrait bien devenir trop importante et dissuader certains visiteurs de se déplacer à l’avenir ; d’autres observent avec sagesse que les musées peut-être étaient devenus trop productivistes, à l’image de la culture et de l’économie tout entière et que les grands événements avaient pris un rythme effréné ; tous, aujourd’hui, en tous cas, se penchent avec gravité sur l’essentiel.
L’essentiel, on le lit ou on l’entend autour de nous, c’est d’être ensemble et le musée crée ce lien : « vite, qu’ils rouvrent et qu’on se retrouve en famille, entre amis, devant des œuvres en vraie grandeur, qui nous émeuvent et nous enchantent… ».
Parfois, ces derniers mois, on entendait dire que les musées pourraient n’être au fond que des lieux « polyphoniques et inclusifs » parmi d’autres. Mais ces dernières semaines, notre organisation internationale ICOM, avec ses 45 000 membres présents dans 135 pays, a sonné l’alarme : partout dans le monde, les musées et leurs collections sont en danger : restaurations interrompues, conditions de conservation moins sécurisées, pillages… Avec Interpol, avec l’Unesco, au sein de ses comités internationaux, ICOM a préparé des préconisations pour tous. En France, le ministère de la Culture a relayé les précieuses recommandations d’ICOM CC (Conservation). Risques physiques et danger économique vont de pair, bien sûr : l’AAM, association américaine des musées, par exemple, estime que 30 % des musées ne réouvriront pas. Nos homologues britanniques ont lancé une enquête, que nous relayons sur notre site, pour appréhender les effets, notamment financiers, dans les différents pays européens, échanger et comparer nos meilleures pratiques Nous ne sommes pas égaux devant cette crise. Là où les collections et ceux qui y travaillent sont dans la sphère publique, l’avenir est moins incertain…
ICOM joue son rôle de créer les solidarités entre tous. Et ICOM France entend y prendre sa part. L’organisation agit ainsi selon sa vocation fondatrice, celle qui l’avait fait naître à Paris juste après la guerre pour mettre les musées au cœur de la reconstruction. C’est à cela que, dès maintenant, nous devons nous attacher.
Il faudra reconstruire le lien social et les musées en sont un des acteurs majeurs.
Parce qu’ils permettent de partager des savoirs et du plaisir et qu’ils sont une contribution majeure à l’éducation de nos enfants. Nos homologues belges l’ont aussi exprimé dans une lettre ouverte à leur première ministre : « … les musées permettent aux individus de se reconstruire et de s’inventer un futur, tant en mobilisant des ressources (…) qu’en raison du pouvoir hautement symbolique du patrimoine dans la vie de chacun et de chacune… »
Ré-ouvrir, en toute sécurité bien sûr mais aussitôt que possible, voilà l’enjeu pour tous les musées. ICOM France a adressé un questionnaire à ses membres institutionnels, non pour recueillir ce que de nombreuses enquêtes renseignent par ailleurs – conséquences sur tous les plans : sécurité, finance, ressources humaines… – mais plutôt pour qu’ils s’expriment sur les enseignements qu’ils peuvent d’ores et déjà retirer de cette épreuve et quelle est leur vision. Au moment où chacun rédige son « plan de reprise d’activité », que tous ont conscience que l’après ne sera pas le retour à l’avant, il nous est donné ce temps – et même cette obligation – de penser l’avenir.
La résilience, qui nous sera si essentielle, ce n’est pas reconstruire à l’identique, c’est prendre appui sur une réalité, aussi cruelle soit-elle, pour construire à nouveau. Cette réalité tangible, c’est le cœur de métier des musées de la saisir et de la conserver. Collecter aujourd’hui ce qui fera demain mémoire de notre société, de nos arts, de nos sciences et de la nature, de cette crise sans précédent, dès qu’elle s’inscrira dans l’histoire.
Plusieurs musées s’y sont déjà engagés, on pense au Mucem à Marseille, mais aussi au musée Tomi Ungerer de Strasbourg qui recueille les dessins d’illustrateurs.
Nous vous les présenterons le 25 septembre, lors de notre Assemblée générale à Strasbourg, sur une thématique que nous axerons résolument sur l’actualité, celle de l’Union Sociale à Strasbourg, site exemplaire de réserves inscrites dans un projet pédagogique et culturel, et celle de la reconstruction, en affirmant le rôle de marqueurs des musées dans la Cité.