Edito d'avril 2020
Chers membres, chers collègues,
90 % des 60 000 musées du monde sont fermés, encore pour de nombreuses semaines : le déconfinement sera progressif. Les musées, partout dans le monde, continuent de faire preuve d’agilité et ont pris un véritable virage digital. L’ enquête de notre partenaire NEMO le montre : 60 % des 650 musées enquêtés ont accru leur présence numérique et 40 % constaté une augmentation de la fréquentation de leurs visites virtuelles, même si seuls 13,4 % ont augmenté leur budget numérique. Dès avant la crise du Covid 19, les établissements muséaux avaient engrangé des productions numériques, comme une dimension essentielle de leur relation à venir avec les publics et notamment à l’égard d’une audience plus jeune.
Signe de l’ampleur de cette présence numérique, des « classements » des meilleures visites virtuelles des musées commencent à sortir dans les pages Culture des hebdos : «Et si on cliquait sur musées ? » titre cette semaine l’Obs. Le rédacteur passe en revue de nombreux sites. Chacun lira son dernier mot à sa façon : « on attendra que les musées rouvrent »… Le monde des musées est dans une réflexion profonde et intense. Sylvie Ramond, directrice des musées d’art de Lyon, s’interroge dans The Art Newspaper Daily, « sur le modèle productiviste de nos musées » … et Fabrice Hergott, directeur du musée d’art moderne de la ville de Paris Musées, y rappelle que « la fréquentation des musées est un bien irremplaçable ». Mais l’acuité des réflexions prospectives ne peut pas masquer une actualité sombre : l’association américaine des musées estime que 30 % des musées américains risque de ne pas réouvrir, tant semblent insurmontables les pertes de recettes déjà enregistrées. En Europe, la majorité des musées n’a pas débauché ses équipes salariées, selon la même enquête de NEMO. Toutefois, des musées associatifs commencent à avoir quelques craintes et les professionnels prestataires sont très affectés. La fédération française des conservateurs restaurateurs s’en alarme notamment : au-delà des ressources financières de leurs membres, c’est l’état des collections qui serait en jeu, à leurs yeux.
Les solidarités s’organisent : un article conjoint des ministres de la culture d’Italie, d’Espagne et d’Allemagne est paru dans le journal Tagsspiegel le 4 avril. Il conclut : « nous sommes d’autant plus déterminés à protéger notre bien le plus précieux : notre foi dans la solidarité et le pouvoir de la culture ». Le ministre français de la culture s’est engagé « à ne laisser personne sur le bord de la route […] la culture aura un rôle majeur à jouer pour nous permettre de retrouver des jours meilleurs ». Devant la commission culture du Sénat, le ministre a annoncé la création d’une « cellule patrimoine » afin d’accompagner les musées, à l’échelle régionale et nationale, lors du déconfinement étalé dans le temps.
A l’international, l’Unesco travaille à élaborer des stratégies pour l’avenir, en se concentrant plus particulièrement sur la région arabe et l’Afrique, car « au terme de cette catastrophe, il faudra sauver nombre de musées […] en sauvant la culture, nous sauvons la société, sa diversité, sa vitalité et sa créativité » dit Anne Marie Afeiche, directrice des musées du Liban.
Pour l’ICOM, cette dramatique situation surgit au cœur d’un mandat qui s’était fixé comme objectif de « redéfinir les musées ». Débat clivant depuis plusieurs mois, on ne peut à l’évidence plus penser aujourd’hui qu’à ce qui nous unit. « On aura besoin des musées pour nous rappeler qui nous sommes et d’où nous venons » écrit la présidente d’ICOM Suay Aksoy dans son courrier aux membres. ICOM est né après la guerre, pour contribuer à la paix entre les hommes. C’est aujourd’hui un réseau de 49 000 professionnels dans 135 pays du monde. Solidarité et partage de compétences (cf. les Recommandations professionnelles pour la préservation des collections) sont sans doute les mots dont nous aurons besoin dans les mois et les années qui viennent.
ICOM a lancé une grande enquête, qui se poursuivra jusqu’à la fin du mois d’avril, pour évaluer la situation de ses membres et leurs besoins. Je vous invite à y répondre nombreux. J’ai demandé à ce que nous puissions disposer d’une extraction des résultats sur notre territoire et de la possibilité d’ajouter des questions spécifiques. N’hésitez pas à en proposer.
Les assemblées annuelles d’ICOM international ne se tiendront pas en juin à l’UNESCO, la plupart des comités internationaux ont reporté leurs réunions annuelles ou sont sur le point de le faire, ou d'en proposer une version à distance. Nous vous tiendrons bien sûr informés des nouvelles échéances.
ICOM France a mis en place une veille de l’activité de ses membres institutionnels, s'engageant à soutenir et à relayer ce réseau et sa créativité. Nous vous en donnons déjà un aperçu. Cette veille se poursuivra au jour le jour et nous la mettrons en ligne toutes les semaines.
Nos collègues ont les yeux tournés vers demain, et pensent déjà à redonner place à chacun dans leur organisation, à mobiliser des ressources, à préparer la réouverture aux publics … C’est aussi notre histoire au présent qui s’écrit, les musées sont là pour conserver aujourd’hui ce qui fera trace dans la mémoire collective de demain. Que devons-nous de ce confinement conserver ? De nombreux artistes s’expriment et plusieurs musées leur font place sur leurs sites et réfléchissent activement aux moyens de soutenir la création contemporaine. Les musées de sciences mesurent leurs responsabilités d’accompagner leurs visiteurs virtuels vers plus de connaissance et de discernement, croire et savoir ce n’est pas la même chose… ; les muséums d’histoire naturelle saisissent l’actualité de l’enjeu de l’environnement ; les musées de société s'engagent sur la manière d'impliquer mieux les publics …
ICOM France continue d’être à votre écoute et à faire lien entre ces membres en relayant leurs informations sur ce site et sur nos réseaux sociaux. Suivez-les et alimentez-les ! ICOM France suit également avec intérêt et engagement les grands questionnements qui émergent et qui transforment notre appréhension des musées et de leur fonctionnement.
Nous continuons à faire vivre le débat, la soirée déontologie du 29 janvier « Le Sens de l’objet » est en ligne depuis quelques jours et sera éditée d’ici la fin du mois ; la journée internationale du 10 mars : « Les musées aujourd’hui et demain ? Définitions, missions et déontologie » est entièrement décryptée, déjà en ligne, en cours de traduction et sera éditée d’ici quelques semaines.
Le rendez-vous du 25 septembre – assemblée générale et journée professionnelle - devrait se dérouler comme prévu à Strasbourg et à l’automne, nos soirées débat déontologie reprendront leur cours à l’Inp.
Bon courage.
Juliette Raoul-Duval,
présidente d'ICOM France