Le sens de l'objet
« OBJETS INANIMÉS,
AVEZ-VOUS DONC UNE ÂME
QUI S’ATTACHE À NOTRE ÂME
ET LA FORCE D’AIMER ? »
Alphonse de Lamartine
Dans la définition du dictionnaire, l’objet est « toute chose concrète, perceptible par la vue et le toucher ».
Pour des professionnels de musée, le mot d’objet revêt un sens singulier : il désigne de manière générale ce que le musée conserve, qu’il s’agisse d’une institution muséale de beaux-arts, d’histoire, d’histoire naturelle, de sciences et techniques, d’art contemporain, etc. On peut parler d’objets virtuels, objet et abstraction ne s’opposent pas.
Pourtant, le vif débat de cet été lors de la conférence générale de l’ICOM à Kyoto sur la « nouvelle définition des musées » a semé le doute : d’objets, il n’était pas question, ni de collections ou d’œuvres, ou seulement en arrière-plan d’un « lieu polyphonique et inclusif » que devrait être pour certains le musée de demain. La position des professionnels français a été consensuelle pour échapper à cette banalisation.
Quatre mois plus tard, la sixième soirée-débat organisée avec l’INP, sur le « sens de l’objet », vise à revenir au cœur des métiers et de la matière des musées.
- L’objet a-t-il un sens en lui-même ? « Le musée est un dictionnaire dans lequel les objets sont les mots […]. Non-inscrits dans un propos, dans un discours, ils perdent leur sens »1.
C’est précisément le travail des professionnels de musée de donner un sens, un langage, une interprétation à l’objet qu’ils conservent ; l’objet est un témoin préservé pour transmettre la mémoire des arts, des sciences, des sociétés. Le conserver est la mission première. S’il est blessé, par le temps ou les guerres, perd-il son sens ou en prend-il un autre ? Les cicatrices font partie du témoignage dont il est porteur. À quelles conditions – traçabilité, réversibilité… – restaure-t-on le sens de l’objet ? C’est le cœur des missions de l’INP.
- Sous l’angle de la déontologie, on peut parler d’objet de connaissance, dont il faut rendre le récit le plus juste possible. Garante de l’authenticité, c’est la part du travail scientifique des musées. On l’a vu au cours d’un autre débat vif de l’année 2019, sur les « restitutions » : la recherche sur les collections et leur provenance est ardue, jamais achevée et n’épuise pas les questions du « sens de l’objet » : œuvres d’art porteuses de valeurs esthétiques ici, objets rituels porteurs de valeurs spirituelles pour leurs créateurs
- Le sens de l’objet est-il séparable de son contexte ? Pierre Soulages dit cela : « la peinture c’est une chose, mais ce qui importe c’est l’art et ce qui, dans un objet, nous transporte dans des zones de ce que nous sommes et que nous ne connaissons peut-être pas »2.
- Le sens de l’objet est-il « durable » ? Pour la directrice du Louvre-Lens, le sens et l'interprétation d'une œuvre d'art « ne sont pas définis une fois pour toute par l'artiste ni son époque, mais ils sont enrichis par chaque regard, chaque visiteur »3.
Se peut-il aussi qu’ils soient enrichis par les technologies, numériques, 3D, IA… ? Que l’objet répliqué, reproduit, numérisé, partagé, « démocratisé », comme on le lirait dans le rapport Musée du XXIe siècle, porte en lui-même un sens ?
Dans plusieurs musées, les publics sont invités à choisir - parfois dans les réserves - les objets qui vont être exposés. Quel retour sur ces expériences de contextualisation a posteriori, voire d’inversion des rôles entre commissaires et publics ? Quels sens neufs apportent-ils à l’objet ?
D’autres questions, certains paradoxes viendront encore dans le débat, par exemple : un musée sans objets, est-ce un musée ? Une installation, une œuvre éphémère, sont-elles des objets ?
En trois heures, on ne pourra pas tout dire… Sur toutes ces interrogations techniques et scientifiques, mais aussi philosophiques, le débat sera ouvert et non refermé. En effet, il intervient à un moment-clé de dialogue entre les 135 pays membres de l’ICOM, sur ce qu’est l’objet-même du musée, aujourd’hui, demain, de par le monde ?
Cette soirée débat préfigurera ainsi la journée que nous tiendrons le 10 mars à Paris avec nos homologues de l’ICOM qui ont souhaité poursuivre avec nous la réflexion prospective sur la « définition du musée » .
1. Jacques Hainard, « L’expologie bien tempérée », in quaderns-e, 2007
2. Propos de Pierre Soulages dans Béatrice Gurrey, « Pierre Soulages : Dans ma centième année, j’ai toujours du plaisir à peindre », in Le Monde, 24 novembre 2019
3. Propos de Marie Lavandier (directrice du musée du Louvre Lens) dans Nicolas Delesalle, « Comment regardons-nous les œuvres d’art ? », in Télérama, 1er février 2018