Peut-on parler d'une Europe des musées ?
Propos de la soirée
À quelques semaines de la présidence française de l’Union européenne, nous avons choisi d’inviter les professionnels de musées à débattre ensemble de ce que signifie aujourd’hui, pour un musée, « être européen ».
Ouvrir cette question, c’est s’interroger sur les valeurs que nous avons en commun - ou désirons partager - au sein d’une région du monde aussi variée sur le plan culturel, politique, économique… La période se prête à cette réflexion pour les membres de l’ICOM, car notre organisation est traversée par des questionnements sur son identité – qu’est-ce qu’un musée, quels termes peuvent le définir de manière recevable et pertinente en tout point de la planète, en englobant tous ses domaines, de l’art à la science ? Cette aspiration à nommer - ou plutôt à renommer - est légitime tant les musées se sont multipliés et diversifiés en vingt ans ; et les crises de ces vingt derniers mois mettent déjà chacun en situation de penser ce que sera l’après : nous sommes conscients, à ICOM, que l’enjeu de se définir est celui de notre unité-même.
Le « modèle » des musées européens, dans ce contexte, est particulièrement interrogé. L’Europe se perçoit comme le berceau des musées – Krzysztof Pomian le fait naître à Rome au début du XVème siècle, d’autres rappellent que museion est le nom du temple dédié aux muses, bâti il y a plus de 2000 ans sur la colline de l’Helicon à Athènes – et notre propre organisation, créée il y a juste 75 ans conjointement par les Etats-Unis et la France, est aujourd’hui composée à 84 % de membres européens. Ce ratio impressionnant invite cependant à la prudence, car l’image des « musées européens » au sein du monde muséal n’est pas aussi consensuelle que nous le voudrions. Tout le secteur de la culture est bousculé par des questionnements sur ses fondements-mêmes et sur ses ressorts, celui des musées l’est notamment par les incitations pressantes à clarifier la provenance de ses collections. Les sociologues Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre nous avertissent : « le monde culturel risque la marginalisation s’il se contente de brandir l’étendard de l’universalisme sans tenir compte des nouvelles préoccupations des jeunes »*. La place des communautés, l’appel à la décolonisation … s’imposent désormais dans toute vision prospective.
Les musées européens ont, dans leur ensemble, traversé la crise sanitaire avec plus de résistance qu’ailleurs. Leurs gouvernements ont pris des mesures protectrices, le « quoiqu’il en coûte » français et le plan de relance européen en sont deux exemples. Aujourd’hui, nombre de musées peuvent rouvrir et reprendre leur activité, alors que dans d’autres régions du monde, le manque de recettes et les départs de personnels entrainent des fermetures durables : en Amérique du Nord, ce sont 13 % des musées qui ne rouvriront pas. En outre, les professionnels européens ont rapidement adopté les innovations numériques émergentes. Sur le continent africain ou dans les petits états insulaires, le numérique est accessible à 5% de la population, rappelle souvent la directrice générale de l’UNESCO…
Face à ces fractures, l’ICOM a mis en place un dispositif de solidarité et ICOM France a co-engagé un cycle de dialogue avec des partenaires d’Europe du Nord et du Sud. Nous le mesurons, le caractère d’organisation professionnelle de l’ICOM a prouvé ici tout sa pertinence. Ce qui lie ses membres, c’est l’aspiration à exercer un métier, leur métier, quelle que soit leur place dans leur organisation, la place de leur organisation dans le monde, le domaine muséal concerné. Ce lien, celui de la compétence et de la volonté d’exercer, c’est ce que reprend le Code de déontologie adopté par les 50 000 adhérents des 135 pays membres. De professionnalisme, les musées en Europe sont largement pourvus, du fait de systèmes de formations et de qualification de haut niveau, d’une place de la recherche en leur cœur et de l’excellence des pratiques de conservation et de restauration. Le débat de décembre, au sein et avec l’Inp, vise à le cerner et à renforcer les comparaisons internationales. Au sein de l’Europe, l’enjeu de mobilité est central ; à l’international, il s’agit de solidarité et de partage : les musées européens, leurs organismes de formation et associations professionnelles ont une force de mobilisation de plus en plus réactive lors par exemple d’événements climatiques, de conflits ou d’accidents.
Penser une possible « Europe des musées » est peut-être audacieux. Pourtant, après ces mois de crise sanitaire et un été d’incendies et d’inondations, la culture apparaît comme centrale pour réparer, reconstruire et redonner sens à la vie collective. « Les musées sont parmi les lieux les plus crédibles », a affirmé le président de l’ICOM en juillet, lors de la réunion des ministres de la Culture préparatoire au G 20 et ses propos ont été retenus dans la déclaration finale. Ce message est encourageant, il est surtout un appel à notre sens des responsabilités. Oui, les musées sont crédibles. Cette confiance oblige les professionnels de musée à l’exemplarité et à la créativité en matière de pédagogie pour sensibiliser et former les citoyens aux enjeux du développement durable.
Le débat sur « l’Europe des musées » s’inscrit ainsi dans une double actualité pour les membres d’ICOM France et pour l’Inp :
- D’une part, appréhender ensemble les enjeux européens,
- D’autre part, se saisir de ce « moment politique » pour exprimer nos attentes en la matière aux dirigeants européens.
* Une jeunesse crispée : le vivre ensemble face aux crises globales, ed. l’Harmattan, cité par Michel Guerrin dans le Monde, 6 novembre "le monde culturel au défi de la jeunesse".
Programme
Ouvertures
- Charles Personnaz, directeur de l’Institut national du patrimoine
- Juliette Raoul-Duval, présidente d’ICOM France
- Terry Nyambe, vice-président d'ICOM international
Intervenants
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Pauline Chassaing, responsable des relations internationales de l’Institut national du patrimoine;
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Pierre Chotard, responsable des expositions du Château-musée d'histoire de Nantes
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Audrey Doyen, docteure en muséologie, chercheuse associée au CERLIS - Université de Paris
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Vincent Droguet, sous-directeur des collections, service des musées de France, Direction générale des patrimoines, ministère de la Culture
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Bruno Maquart, président d'ECSITE (réseau européen des musées et centres de sciences) et président d'Universcience
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Mikael Mohamed, responsable des relations internationales du Mucem - Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée
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Pia Müller-Tamm, directrice de la Kunsthalle de Karlsruhe
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Luís Raposo, président d'ICOM Europe;
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David Vuillaume, président de NEMO (réseau des organisations muséales européennes) et directeur général de l'association allemande des musées
La rencontre sera animée par Alexandre Chevalier, président d'ICOM Belgique et Juliette Raoul-Duval.
Elle sera conclue par Christian Hottin, directeur des études, département des conservateurs de l'Institut national du patrimoine.
Retrouvez la séance
Captation en français - première partie
Captation en français - deuxième partie
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