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ICOM Shanghai 2010 : Allocution du Président Chirac

Discours de clôture du 12 novembre 2010

Le Président Chirac avait été invité à prononcer le discours de clôture de la XXIIe Conférence Générale de l'ICOM à Shanghai en 2010.

Nous vous proposons de relire l'intervention donnée devant l'assemblée des professionnels de musées. 

Monsieur le Vice-Ministre,
Monsieur le Directeur Général,
Mesdames et Messieurs,
Mes chers Amis,

C'est un bonheur d'être parmi vous aujourd’hui, à Shanghai, pour clore la XXIIème Conférence Générale de l’ICOM.

C’est aussi pour moi un grand honneur. Et je veux d’abord remercier chaleureusement les autorités chinoises, ainsi que les organisateurs de la Conférence, pour la qualité de leur accueil.

Je rends hommage à l’engagement de M. Wu Cai, Ministre de la Culture chinois, qui a présidé la Conférence pendant six journées de travaux fructueux, ainsi qu'à M. Shang Jixiang, Vice Ministre, et Directeur Général de l'Administration d'Etat du Patrimoine Culturel. Je salue Monsieur Julien Anfruns, Directeur général de l’ICOM, qui a facilité ma présence parmi vous aujourd’hui. Et j'adresse à votre nouveau Président du Conseil d'Administration, élu ce matin, mes plus chaleureuses félicitations.

La satisfaction qui est la mienne, c’est d’abord celle de m’exprimer, une nouvelle fois, ici, en Chine, foyer de haute civilisation, pays que j’aime profondément, pays qui mobilise toutes les ressources de son histoire pluri-millénaire pour s’ancrer dans la modernité, et inventer les réponses audacieuses qu’appellent les grands défis de notre temps. A cet égard, l’Exposition Universelle de Shanghai a été, je le sais, une remarquable démonstration et une formidable réussite.

L’honneur qui est le mien, c’est également celui de pouvoir m’adresser à une institution aussi prestigieuse que le Conseil international des musées.

Depuis bientôt 65 ans, l’ICOM protège, préserve et communique la valeur du patrimoine culturel mondial.

Forte d’un réseau de 30 000 membres à travers 137 pays du monde, l’ICOM est parvenue à s’imposer comme un acteur essentiel de la coopération culturelle internationale.

Dans votre enceinte, les professionnels des musées débattent et échangent. Ils travaillent au-delà des barrières culturelles et nationales.

Ils contribuent à faire de la culture un instrument au service d’une société plus ouverte, plus tolérante et plus harmonieuse.

Le thème retenu cette année pour la Conférence -l’harmonie sociale -illustre, parfaitement le rôle que les professionnels des musées peuvent et doivent avoir.

Ma conviction, c’est que dans des périodes troublées telles que nous les connaissons aujourd’hui, les musées ont une vocation sociale et morale.

A l’origine, lieux d’exposition et de conservation érudites, les musées sont devenus des lieux d’échange et de rencontre.

De sanctuaires, ils se sont la plupart du temps transformés en institutions culturelles ouvertes, populaires et interactives.

Le développement de la fréquentation des musées par les jeunes, partout dans le monde, est, à ce titre, significatif.

En offrant un accès à la culture, les musées favorisent la connaissance et la compréhension mutuelles.

Souvent, ils sont une vitrine du patrimoine et de l’histoire d’un pays. Ils contribuent alors à valoriser une culture et une histoire nationales ou régionales.

Mais leur place nouvelle dans la société leur permet aujourd’hui d’aller plus loin.

Je crois désormais essentiel que les Musées puissent favoriser l’accès à l’autre.

A ce que font les autres. A ce que sont les autres. C’est l’ambition qui a été la mienne lorsque j’ai œuvré à la création, à Paris, du Musée du Quai Branly, consacré aux arts dits premiers, et à des cultures aussi éloignées que méconnues.

J’ai toujours considéré en effet que nous avions beaucoup à apprendre des civilisations millénaires et de leurs expressions artistiques.

Le Musée du Quai Branly, c’est aujourd’hui un lieu d’accueil, moderne et chaleureux, où les cultures révèlent pleinement leur génie et leur richesse.

Son ambition, c’est d’offrir à chaque visiteur une véritable leçon d’humanité.

Je suis profondément attaché au renforcement du dialogue des cultures et des civilisations.

Sans arrogance, mais sans indifférence. Dans la tolérance et le respect.

Ces convictions sont celles qui ont fondé l’engagement de ma vie.

Un engagement au service de la paix que je poursuis aujourd’hui avec la Fondation que j’ai créée.

Cette Fondation se consacre, à travers les projets qu’elle soutient dans les domaines de la solidarité, de l’environnement et du dialogue des cultures, à agir au service de la paix.

La paix, bien entendu, est directement menacée par les conflits non résolus ou par les crises.

Mais elle l’est aussi par la disparition des cultures singulières. C’est cette disparition des cultures et des identités qui peut générer, au fil du temps, d’abord la crispation identitaire, puis le développement des comportements de mépris et de rejet de l’autre, enfin la violence et même le terrorisme.

Entendons le : chaque peuple, chaque culte, a un message singulier à délivrer au monde. Chaque peuple, chaque religion, peut enrichir l’humanité en apportant sa part de beauté, de création, de vérité.

La diversité culturelle, c’est le respect de la singularité de toute création. C’est le refus d'un standard qui bâtirait un univers parfaitement rationnel et parfaitement aseptisé.

Le combat pour la diversité culturelle n’est donc pas assimilable à la préservation anxieuse ou nostalgique de ce qui vient du passé.

Les cultures sont vivantes, et se transforment sans cesse.
Et pour inventer, il faut garder la mémoire du passé.
Ma conviction, c’est que chaque civilisation, chaque culture est porteuse de multiples richesses. 

Devant une mondialisation qui s’accélère, et face aux risques d’uniformisation qu’elle comporte, le destin du monde est là : dans la capacité des peuples à porter les uns sur les autres un regard instruit et compréhensif, à faire dialoguer leurs différences et leurs cultures et à se respecter mutuellement.

Et si le monde a connu une croissance exponentielle du nombre de ses musées, au cours des dix dernières années, ce n’est pas un hasard.

Je veux ici saluer la modernité de ces nouvelles institutions, et féliciter celles et ceux d’entre vous qui s’engagent dans cette conception du musée, lieu de rencontre et de dialogue, de partage et de connaissance ; un musée comme lieu d’interrogation sur notre monde en perpétuelle évolution.

Mes Chers Amis,
Depuis 6 jours, vous échangez et vous débattez pour améliorer votre action, pour améliorer la lutte contre les trafics de biens culturels et leur sécurité, pour valoriser les patrimoines, pour développer la communauté muséale mondiale. Je sais combien vos discussions ont été riches et passionnées.

Tous, vous travaillez dans des contextes politiques différents. Mais tous, par vos collections et vos expositions, par votre engagement et votre passion, par votre travail scientifique et vos recherches, vous faites vivre le patrimoine de l’humanité.

Cette tâche est parmi les plus nobles qui soient.

Je souhaitais aujourd’hui vous en féliciter et vous en remercier. Parce que c’est de la compréhension de l’autre que naît la paix entre les hommes, et la paix entre les peuples.

Je vous remercie.

Jacques Chirac