Militants écologistes dans les musées
Interview News Tank Culture n°269305 - Publié le 02/11/2022
Comment analysez-vous ce type de militantisme qui cible prioritairement des œuvres connues du grand public et exposées dans de grandes institutions européennes ? Le phénomène n’est pas neuf, mais semble s’intensifier ces dernières semaines.
"Les œuvres ciblées sont choisies. Il s’agit de chefs d’œuvres situés dans de grands musées avec une forte audience, ce qui permet de s’assurer que ces gestes seront relayés. Les activistes cherchent à interpeller, à avoir le public le plus large possible. Or, les grands musées offrent de belles scènes à ce genre d’opération.
Le rôle des professionnels des musées est aujourd’hui clair : protéger les œuvres quelle qu’elles soient. En effet, le phénomène n’est pas neuf. Nous avons connu plusieurs tentatives de dégradation et/ou de sensibilisation par les œuvres d’art dans le passé. Il faut que nous soyons très vigilants à ce phénomène qui n’est pas anodin et qui se reproduit avec des actions qui s’enchaînent.
Par ailleurs, si les musées sont des lieux d’expression de revendications, nous devons pouvoir entendre ces discours et faire notre part pour être exemplaires en matière de développement durable.
Quelles sont les conséquences potentielles de ces opérations ? Jusqu’ici, on a pu évoquer des dégâts sur des cadres ou des opérations de nettoyage engendrant de périodes de fermeture. En existe-t-il d’autres ?
"Nous risquons une crispation accrue des équipes, qui sont très mobilisées et une potentielle dégradation des conditions d’accueil dans les musées. Certains établissements commencent à demander la dépose des sacs à main à l’entrée, soit l’application de mesures impliquant un accueil plus contraint que ce qu’il a pu être.
Par ailleurs, le risque zéro, même sur une œuvre sous verre, n’existe pas. Certains cadres peuvent constituer des œuvres patrimoniales. Coller sa main, ou son front sur un cadre peut occasionner une détérioration imposant une opération de restauration par la suite. Pour les toiles, il suffit qu’une feuillure ne soit pas parfaitement adaptée pour qu’une infiltration de produit intervienne. Il y a toujours des risques, ce qu’il faut prendre en compte."
La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, a pris le parti d’alerter les musées nationaux et de leur demander d’accroître leur vigilance pour éviter d’éventuelles dégradations. Que pensez-vous de cette réaction et qu’elle est la posture de l’ICOM dans ce contexte ?
Il s’agit d’une réaction sage et de bon aloi, car tous les professionnels des musées doivent être attentifs à cette situation. Ce qui est rassurant, c’est que les équipes de sécurité des musées français sont déjà largement sensibilisées à ces questions. Les sacs sont scannés ou fouillés à l’entrée de nombreux musées, les équipes de surveillance sont présentes et vigilantes. Nous ne sommes donc pas complètement démunis face à ce phénomène, même si nous ne sommes pas infaillibles. Le rôle des professionnels des musées et de l’ICOM est de rappeler les mesures de sécurité, de rappeler à la vigilance et à la prudence dans une période où certaines actions risquent d’en appeler d’autres.
De quelle manière les établissements peuvent-ils se prémunir de ce type d’action ? Observe-t-on des velléités de réactions en réseau, des mesures mutualisées ?
Récemment, l’ICMS a fait des rappels sur les règles de sécurité, sur la vigilance à maintenir (contrôle des sacs, présence des équipes de surveillance dans les salles, etc.). La richesse des thématiques couvertes par l’ICOM permet d’être réactifs et d’agir au niveau international. Il s’agit d’un phénomène qui touche plusieurs pays, d’où l’importance d’intervenir à cette échelle. Le fait qu’une tentative de dégradation ait échoué au Musée d’Orsay (Paris 7e) montre bien l’efficacité de ces règles.
Jusqu’à présent, et je crois que ce n’est pas un hasard, toutes les attaques portaient sur des œuvres protégées. Même si la protection sous verre n’est pas une garantie absolue, cela montre bien qu’il y a derrière ces gestes une volonté d’interpeller et non pas de dégrader.
Il faut toutefois noter qu’une mise sous verre à large échelle pour protéger l’ensemble des collections représenterait un coût faramineux. On ne peut pas demander à tous les établissements de protéger leurs œuvres sous verre, d’autant plus dans le contexte actuel, où de nombreux musées connaissent des difficultés financières.
Vous évoquiez l’importance d'être à l'écoute et de faire preuve d’exemplarité en matière de développement durable. Quels sont les engagements de l’ICOM en la matière ?
Les musées doivent entendre ces voix et participer au débat. Nous devons montrer que conserver des œuvres du patrimoine n’est pas contradictoire avec le soin à apporter à notre environnement. L’ICOM France est très engagé autour des questions de développement durable et d’adaptation des musées à la crise que nous traversons.
Nous allons organiser, mi-décembre, notre prochaine « soirée-débat déontologie » autour d’une question qui n’est pas anodine : la réévaluation de nos normes de conservation à l’aune de la crise climatique et énergétique que nous traversons. Certaines normes de conservation préventive ont été établies il y a 30 ans. Sont-elles toujours valides et opérantes dans le monde actuel ?
Nous essayons de mobiliser la communauté des professionnels en France et à l’étranger pour discuter de ces questions de fond et faire en sorte que notre milieu ne soit pas coupé de la réalité à laquelle notre société est aujourd’hui confrontée. Les musées sont intégrés à la société. Ils se doivent d’être à l’écoute de ce qui s’y passe pour être réactifs et pouvoir répondre aux nouveaux défis qui émergent.
Article reproduit avec l’autorisation de News Tank Culture.
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