Michel Laclotte (1929-2021)
Homme de musées, Michel Laclotte a porté les grands projets qui façonnent toujours, aujourd’hui, le paysage muséal français, la mise en œuvre et l’accomplissement du grand Louvre, la création du musée d’Orsay, dédié à l’art de la seconde moitié du XIXe siècle, sous toutes ses facettes, dans une vision interdisciplinaire d’une grande modernité, la fondation de l’Institut national d’histoire de l’art, associant musées et universités, recherche et diffusion, dont sont célébrés cette année les 20 ans. Ce visionnaire, ce meneur d’équipes, était modeste. Il disait volontiers de lui-même qu’il avait eu beaucoup de chance. Sans doute, l’époque était riche d’opportunités. Mais il a eu surtout le talent de les saisir et de les transformer, avec une intelligence qui alliait à la fois un grand esprit et un grand cœur, un sens aigu des projets et une attention remarquable à tous et à chacun.
Cet homme capable de conduire les grandes institutions de son temps – il devint en décembre 1992 le premier Président-directeur de l’Etablissement public du musée du Louvre – était avant tout un historien d’art exceptionnel ; Michel Laclotte sut, malgré l’importance et les contraintes de ses charges, le demeurer. Né le 27 octobre 1929 à Saint Malo, il devint très tôt un grand spécialiste de la peinture italienne des XIVe et XVe siècles et des primitifs français. Il associait la sensibilité du goût à la rigueur de l’érudition ; ses travaux furent déterminants pour le développement de la connaissance dans ce domaine.
Les nombreuses expositions dont il fut le commissaire constituèrent des moments riches pour la pensée et la découverte. Qu’il soit permis d’en citer quelques-unes. Il présida ainsi à la première exposition dédiée à Georges de la Tour, en 1972, au musée de l’Orangerie. L’audace et l’intelligence de l’exposition Polyptiques, au Louvre en 1990, associant art ancien et création contemporaine, ont influencé bien des projets ultérieurs, jusqu’à la célébration fin 2019 du centenaire du peintre Pierre Soulages, au sein du Salon Carré du Louvre. En 1993, au Grand Palais, Le Siècle de Titien fut sa dernière grande exposition comme directeur du Louvre. Ce fut un rassemblement éblouissant de chefs-d’œuvre, célébrant le sens de la lumière et de la couleur des maîtres vénitiens.
Dès 1953, l’inventaire – et le rassemblement en un seul lieu – de la collection Campana, acquise sous Napoléon III, lui avait été confié. Ce projet consistait à remplacer les tableaux de la collection envoyés dans les musées de région par des dépôts du Louvre, venant compléter leurs collections. Cela représentait environ trois cents tableaux. Suite à l’exposition De Giotto à Bellini en 1956, la décision fut prise de créer un nouveau musée où serait exposée la collection Campana. En 1976, ouvrait ainsi le musée du Petit Palais en Avignon. La récente exposition Campana au Louvre permit de rappeler et de retracer ce beau projet. Bien que lié aux collections nationales et ayant fait toute sa carrière à Paris, Michel Laclotte demeura attentif au développement et aux rénovations des musées de région, fidèle à l’esprit collégial de l’inspection des Musées à laquelle il avait appartenu. Il fut ainsi, au fil des années, généreux de ses avis et de ses conseils pour celles et ceux, directeurs de musées, qui le sollicitaient.
La célébration des trente ans de la pyramide du Louvre, en 2019, avait permis de le retrouver et de rappeler à celui qui ne le faisait pas volontiers lui-même l’importance essentielle de son rôle. Toujours souriant et chaleureux, Michel Laclotte était un homme déterminé. C’est ce qui lui permit d’être présent au cœur des échanges entre le président de la République, François Mitterrand, et l’architecte, mondialement célébré, Ieoh Ming Pei. Présent sans outrances et sans exagérations mais avec fermeté et sagesse, apportant sa connaissance insigne du musée, de ses collections et de ses équipes. Cet homme discret était un meneur d’hommes. Sans brutalité ni autoritarisme. Il leur préférait le sens de l’écoute – sa porte était toujours ouverte, même aux plus jeunes et aux moins expérimentés -, et celui d’une distance bienveillante teintée d’humour qui lui permettait de trouver pour chaque difficulté sa solution et de ramener chacune et chacun à son juste rôle, pour le succès des projets, et la joie de celles et ceux venus le solliciter.
Ces qualités qui le distinguaient le désignaient et le désignent toujours en modèle du dirigeant de musée, hier comme aujourd’hui. C’est avec une grande émotion que nous lui rendons hommage.
Dominique de Font-Réaulx,
Conservateur général - Directrice de la Médiation et de la Programmation culturelle
Musée du Louvre
Image : (c) Musée du Louvre